Le secteur bancaire recrute massivement, mais il n’est pas épargné par l’actuelle guerre des talents. Face à une concurrence exacerbée pour dénicher la perle rare, comment les banques de niche tirent-elles leur épingle du jeu ? Yves Van Laecke et Christine Orban, respectivement Chief Commercial Officer et directrice RH de la Banque Nagelmackers, spécialisée dans la gestion de fortune, nous expliquent leur stratégie.
Quels profils la Banque Nagelmackers recherche-t-elle et parvient-elle facilement à les recruter dans le contexte actuel de ‘guerre des talents’ ?
Yves Van Laecke : La nouvelle stratégie de la Banque Nagelmackers, désormais centrée exclusivement sur l’asset management et la gestion de fortune, a modifié le type de profils dont nous avons besoin. Il nous faut plus de profils expérimentés – avec un minimum de 5 à 10 ans d’expérience dans les métiers bancaires – alors que la pyramide des âges est plutôt inversée dans notre secteur. Le rajeunissement des effectifs est un réel défi pour l’ensemble des acteurs bancaires, en particulier dans les niches que sont le Personal Banking et le Private Banking où les clients se montrent quelquefois réticents à traiter avec un conseiller sans cheveux gris ! Moi-même, je suis devenu Private Banker à seulement 32 ans et je peux témoigner du fait que les débuts furent difficiles…
Christine Orban : Nous avons relancé les recrutements après plusieurs années de stabilité au niveau de l’effectif. Une quinzaine de postes sont actuellement ouverts et il n’est pas simple de les pourvoir car la concurrence entre banques est particulièrement rude en ce moment au niveau de la recherche de talents. Cette évolution était prévisible : la pandémie de Covid-19 a créé un certain attentisme sur le marché de l’emploi, les salariés préférant rester dans leur zone de confort et ne pas bouger ; la fin de la crise a donc accru le turnover un peu partout.
Il y a deux grandes catégories de profils pour lesquels les acteurs bancaires se battent actuellement : d’une part, les commerciaux et, d’autre part, les experts actifs dans des domaines où les exigences réglementaires sont de plus en plus fortes, comme la protection des données, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ou encore la durabilité.
Les grandes banques ont naturellement un avantage concurrentiel par rapport à vous : elles possèdent les ressources internes permettant de former de jeunes diplômés.
Y.V.L. : Il est évident que nous ne disposons pas des même moyens humains pour former les banquiers de demain, mais ce n’est pas grave. En effet, après avoir été formés dans les grandes banques et y avoir fait leurs premières armes, il est fréquent que certains employés qualifiés soient tentés par une banque à taille humaine, comme la nôtre, pour poursuivre leur carrière.
Le dernier Guide des salaires de Robert Half épingle la forte hausse des salaires dans les métiers de la finance. Cette surenchère est-elle tenable pour une institution de petite taille comme la Banque Nagelmackers ?
Ch.O. : Depuis quelques mois, je constate que les propositions financières faites par certaines banques deviennent parfois déraisonnables. Les acteurs bancaires se livrent une bataille sans merci, mais sont également en concurrence avec les Big Four, qui recherchent les mêmes profils que nous. C’est un énorme défi pour une petite organisation comme la nôtre. Notre politique est de conserver une certaine équité en interne entre les employés. L’autre aspect de cette surenchère salariale est que si l’on offre un salaire trop élevé à un candidat, il va ensuite se retrouver bloqué dans sa progression au sein de l’entreprise, ce qui créera des frustrations à moyen terme.
Y.V.L. : Fondamentalement, nous ne souhaitons pas entrer dans cette surenchère financière. Je pense que certains des candidats attirés par les sirènes de l’argent pratiquent le jump, jump, jump, c’est-à-dire se remettent assez rapidement sur le marché de l’emploi en quête d’opportunités toujours plus alléchantes. Ce n’est pas ce type de profil que nous recherchons. Durant mes quinze années de people management, j’ai affiché de très bons taux de rétention. Il n’y a pas de mystère : la principale raison qui pousse un salarié à quitter son employeur, ce n’est pas l’argent, mais l’attitude de son supérieur hiérarchique.
Les médias vous profilent systématiquement comme « la plus vieille banque de Belgique » : comment, avec cet historique un peu encombrant, se donner une image attractive et moderne ?
Y.V.L. : Pour nous différencier, nous mettons clairement l’accent sur l’aspect human touch bank. Avec un peu plus de 360 équivalents temps plein, nous sommes clairement une institution plus ‘humaine’ que les grands acteurs du marché, et cette dimension-là séduit particulièrement les candidats potentiels. Je vous donne un petit exemple : chaque semaine, notre Comité exécutif invite dix collaborateurs pour discuter et partager un lunch. Connaissez-vous une autre banque où la structure est aussi plate et la possibilité de parler au top management aussi directe ?
Ch.O. : Je pense quele nouveau siège social de la Banque Nagelmackers, passif et neutre en carbone, contribue à cette image moderne. Nous y emménagerons au tout début de l’année prochaine . Sans vouloir prétendre que c’est un élément décisif dans le recrutement d’un candidat, ce nouveau quartier général reflète parfaitement l’ADN de notre banque, centrée à la fois sur l’humain et l’environnement. Notre approche s’inscrit dans le long terme, tant vis-à-vis de nos collaborateurs que de nos clients. Le NextGen Talent Program, lancé il y a un an, est l’un des fers de lance de l’image positive de la Banque Nagelmackers. Nous avons décidé de sélectionner parmi les enfants et petits-enfants de nos clients dix jeunes prodiges sportifs ou musicaux et de les soutenir financièrement pendant deux ans pour qu’ils puissent libérer la pleine puissance de leurs talents. Pour l’instant, nous en avons déjà sélectionné trois dans le golf, l’escrime et l’athlétisme. C’est un projet unique en Belgique de soutien à la génération suivante.
Malgré tous ces obstacles, vous avez recruté une petite vingtaine de personnes depuis le début de l’année. Au-delà de la question financière, quelles sont les attentes des candidats de manière générale ?
Ch.O. : La flexibilité est certainement la première préoccupation des candidats, que ce soit en termes d’horaires, d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, mais aussi dans les relations professionnelles. À cet égard, l’absence de hiérarchie très formalisée qui caractérise la Banque Nagelmackers est un atout important.
La durabilité, envisagée sous l’angle de la politique de mobilité par exemple, intéresse de facto moins les candidats que ce que les médias laissent croire. Même si cela ne plaît pas à tout le monde, il faut bien reconnaître que la voiture de société reste un élément primordial du package salarial. Depuis quelques semaines, on constate que certaines banques la proposent même pour des profils d’assistant.e commercial.e, ce qui est totalement inédit. Puisque, dans ce cas, la voiture de société n’est clairement pas liée à un besoin professionnel, elle n’est qu’un outil de séduction supplémentaire dans l’actuelle guerre des talents.
Le fait que nous ayons désormais un positionnement très clair dans le segment de la banque privée est également une valeur ajoutée dans le processus de recrutement. Maintenant, au-delà de tous ces éléments, il ne faut pas se voiler la face : le package salarial reste le nerf de la guerre des talents.
Misez-vous aussi sur la diversité et l’inclusion pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre ?
Ch.O. : La Banque Nagelmackers est affiliée depuis deux ans à Women in Finance, créée dans le giron de Febelfin. Nous ne pratiquons toutefois pas de discrimination positive envers les femmes, car la balance des genres est assez équilibrée au sein de l’entreprise.
Combien de femmes compte votre Comité exécutif ?
Y.V.L. : À ce niveau-là, on peut mieux faire puisqu’il n’y a qu’une femme sur un total de quatre membres… mais c’est la première depuis 1747, date de création de la banque !
La pénurie de main-d’œuvre a-t-elle freiné certains projets de développement, voire même handicapé votre croissance ?
Y.V.L. : Non, absolument pas. Malgré le contexte difficile, nous avons pu recruter des candidats importants pour nous sur le plan stratégique. Compte tenu de la pyramide des âges propre à la banque, nous veillons également à anticiper autant que possible les futurs départs, en prenant une marge de sécurité au niveau des échéances. Nous tablons maintenant sur une période de 12 mois minimum pour recruter un candidat et le former. Pour les commerciaux en particulier, il est important que la transition se fasse sans heurt pour les clients.